Interview réalisée par Marie-Line El Haddad
Lee Yong-Su dévoile les enjeux artistiques et la responsabilité d’un film qui ravive une page essentielle de la mémoire coréenne.
Harbin retrace l’itinéraire intense et profondément humain d’Ahn Jung-geun, figure emblématique de la résistance coréenne sous l’occupation japonaise. Situé au début du XXᵉ siècle, le film suit son engagement clandestin, ses dilemmes et les opérations qui le conduisent à Harbin, ville frontalière devenue le théâtre d’un acte historique. Entre drame politique, fresque d’époque et portrait d’un homme déchiré entre devoir et sacrifice, Harbin propose une mise en scène à la fois grandiose et intimiste, révélant le courage et la détermination d’une génération prête à tout pour défendre l’indépendance de la Corée.
Producteur reconnu du cinéma coréen, Lee Yong-Su s’est imposé par son approche rigoureuse des films historiques et sa collaboration fidèle avec le réalisateur Woo Min-ho. Avec Harbin, il signe l’une de ses œuvres les plus ambitieuses, portée par un sens profond du devoir et une vision artistique d’une rare précision.

Marie-Line El Haddad : Qu’est-ce qui vous a convaincu de produire Harbin ? Était-ce le scénario, le réalisateur ou le sujet ?
Lee Yong-Su : J’ai rejoint Harbin avec le sentiment que tout convergeait naturellement. J’avais déjà collaboré avec le réalisateur Woo Min-ho et le PDG Kim Ho sur plusieurs projets, dont The Man of the President (L’Homme du Président, ndla), et une vraie relation de confiance s’était installée entre nous. Quand le réalisateur m’a présenté Harbin, j’ai tout de suite senti que c’était un projet taillé pour moi : un film historique, un genre que j’apprécie profondément, porté par un excellent scénario et une distribution remarquable. Il n’y avait, honnêtement, aucune raison de refuser. Malgré un emploi du temps chargé, j’ai décidé d’y participer, porté par un réel enthousiasme et la conviction que ce film méritait d’exister.
MLEH : Le film oscille entre précision historique et tension dramatique. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ambitions artistiques et contraintes de production ?
Lee Yong-Su : La difficulté majeure fut la recherche historique. Aujourd’hui, les archives sont immenses : le défi n’est plus d’obtenir des informations, mais de trier, vérifier, distinguer le vrai du faux. À cela s’ajoute la nécessité d’harmoniser la compréhension entre tous les membres de l’équipe, des acteurs aux techniciens, pour que chacun manipule les mêmes données avec justesse. Et puis, le public est extrêmement informé : il vérifie, compare, enquête. On ne peut pas se permettre de flouter la réalité, surtout lorsqu’on traite de l’époque de la domination japonaise, un sujet encore très sensible en Corée. Nous avons donc veillé à une rigueur maximale, avec la volonté de restituer l’époque de manière crédible, précise et respectueuse.
MLEH : Justement, comment avez-vous abordé la responsabilité de représenter une période aussi douloureuse de l’histoire coréenne ?
Lee Yong-Su : Cette responsabilité a été un moteur commun. Acteurs, réalisateur, équipe technique… nous étions tous animés par la même conscience : raconter un pan de l’histoire coréenne exige sérieux, respect et authenticité. Nous voulions permettre au public d’« entrer » dans cette époque, même si plus personne aujourd’hui ne l’a vécue. Cela nous a poussés à rechercher un réalisme émotionnel et visuel aussi fort que possible. Un moment symbolique a marqué le début de notre tournage : le rituel traditionnel de pré-production, que nous avons réalisé au mémorial Ahn Jung-geun. Ce choix n’était pas anodin. Cela a installé une atmosphère solennelle, empreinte de respect pour les figures historiques auxquelles nous allions redonner vie. C’était une manière de nous rappeler pourquoi nous faisions ce film.
MLEH : La musique occupe une place essentielle dans Harbin. Comment s’est construite cette dimension sonore ?
Lee Yong-Su : La musique devait porter la grandeur et la solennité du récit. Pour cela, nous avons enregistré avec le London Symphony Orchestra : impossible d’atteindre cette ampleur en se contentant d’instruments numériques. Nous tournions en Alexa 65, une caméra offrant une image d’une qualité exceptionnelle ; il nous semblait indispensable que la bande originale soit à la hauteur de cette ambition visuelle.
Cela a représenté un investissement conséquent, mais nous étions convaincus que l’orchestre apporterait cette profondeur, cette respiration héroïque que le film exigeait. L’objectif était clair: que la musique porte le film, qu’elle en devienne l’ossature émotionnelle.
MLEH : Comment percevez-vous la place de Harbin dans le cinéma coréen contemporain et son potentiel à l’international ?
Lee Yong-Su : Il est toujours délicat de situer soi-même son film, mais je crois que Harbin se distingue par plusieurs aspects devenus rares : une ambition visuelle forte, des techniques de tournage exigeantes, et des rôles qui incitent les acteurs à se dépasser. À l’international, j’espère que le film permettra au public de découvrir une partie de l’histoire coréenne souvent méconnue. Le parcours d’Ahn Jung-geun, son engagement, sa résistance, sont essentiels pour comprendre ce qui a façonné la Corée d’aujourd’hui. De la même manière que le monde s’intéresse à l’histoire de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, je crois que cette période tragique de notre histoire peut, elle aussi, toucher un public global. Si Harbin peut susciter cette curiosité, alors nous aurons accompli quelque chose d’important.
Un grand merci aux équipes du FFCP et en particulier à Cédric Callier pour l’organisation de cette interview!
Depuis maintenant vingt ans, le Festival du Film Coréen à Paris (le FFCP pour les habitués) offre chaque année, entre fin octobre et début novembre, une sélection de films coréens soigneusement choisis. Véritable passerelle entre la création sud-coréenne et le public français, le festival met en lumière la diversité du cinéma coréen, des œuvres d’auteur aux grandes productions, et accueille régulièrement équipes, réalisateurs et acteurs venus présenter leurs films en exclusivité.
